Un nom et un visage. Sadek Hadjerès, l’insaisissable clandestin (1928-2022)

Sadek Hadjerès s’est éteint à l’âge de 94 ans. Clandestin durant trois décennies, son visage et son nom avaient obsédé les services de répression français et algériens. Ni les uns, ni les autres, n’avaient jamais réussi à mettre la main sur lui. De ces clandestinités, son corps avait gardé des traces : il n’avait pas élevé la voix pendant des années, et ne pouvait, âgé, parler que d’une voix légèrement enrouée. En tamazight, en arabe ou en français, cette voix était calme, à l’image de tout son être, disposé à revenir sereinement sur son passé pour mieux éclairer les enjeux du présent de son pays.

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Trois clandestinités, trois répressions, trois amours. Le siècle de Gilberte Chemouilli (1917-2021)

« J’ai tapé à la machine ». C’est en ces termes lapidaires que Gilberte Chemouilli aimait résumer ses engagements politiques. En ces termes aussi qu’elle avait répondu à ses tortionnaires de la Sécurité militaire algérienne qui l’interrogeaient en 1965 sur les raisons des multiples arrestations qu’elle avait subies depuis 1940. Une affirmation à son image : tout en humour, et à mi-chemin entre la sous-estimation de son rôle de « petite main » et la conscience du trésor que représentaient pour des organisations clandestines une machine à écrire et une militante capable de s’en servir.

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« Madame, je suis Arabe, moi ! » La famille Schecroun, d’une clandestinité à l’autre

« L’homme a des ressources terribles en lui. Des ressources mentales et physiques. Seulement, il faut les faire vivre. » C’est en ces termes qu’Émile Schecroun, disparu en juin 2018, évoquait en 2011 sa résilience face aux souffrances vécues dans sa jeunesse. À 13 ans, il avait connu la faim, le froid et la peur avec sa famille, cachée dans les Alpes pour échapper aux rafles franco-allemandes. À 26 ans, il s’était senti proche de la mort, lorsque les policiers tortionnaires d’Oran s’acharnaient à lui faire payer sa participation à la guérilla urbaine.

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« Vous, vous êtes un anti-Français ! » Le siècle de Lucien Hanoun (1914-2018)

Lucien Hanoun s’est éteint le 7 avril 2018, à l’âge de 103 ans, après une longue vie partagée pour moitié entre l’Algérie et la France. Deux pays dans lesquels il avait fermement combattu pour ses idées, et qu’il considérait pareillement comme les siens.

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« La rue de France, c’est une rue d’Algérie ». Rolland Doukhan, un poète algérien

« Constantine / Ma ville entrecroisée / Aux odeurs d’indigence… »[1]. En 1949, l’hebdomadaire communiste algérien Liberté publie pour la première fois les textes de deux jeunes poètes : Malek Haddad, 22 ans, et Rolland Doukhan, 21 ans. Natifs de Constantine, les deux hommes se sont liés d’amitié quelques années plus tôt, au lycée d’Aumale. « Il me ressemblait comme un frère », dira Rolland Doukhan lors d’un entretien en 2007, faisant référence à leur amour partagé de l’écriture et à leur engagement anticolonialiste commun.

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Alger, 16 octobre 1956. Un mariage avant la tempête

Alger, 16 octobre 1956. Entourant un couple de jeunes mariés, quelques convives se font photographier à la terrasse d’un restaurant en bord de mer. Apparemment banale, la scène constitue pour celles et ceux qui la vivent un rare moment de détente dans une période de grande tension individuelle et collective. Elle précède plus exactement de quelques semaines une tempête qui s’abattra bientôt sur la plupart d’entre eux.

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« Je souris ». La guerre d’indépendance de Boualem Khalfa (1923-2017)

Boualem Khalfa s’est éteint le 6 juillet 2017 à Paris, à l’âge de 94 ans. Passé du nationalisme au communisme au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’enfant de Lakhdaria, devenu instituteur et journaliste à Alger Républicain, fut membre des directions du Parti communiste algérien (PCA) et du Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS). Des articles ont dit et rediront son parcours, marqué par plus de 10 années de clandestinité sur le sol de l’Algérie colonisée et indépendante. Ici, des documents d’archives policières et judiciaires et un entretien mené avec lui en 2009 permettront de dessiner trois « scènes » de sa guerre d’indépendance.

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« Je suis encore à Alger ». Jean-Pierre Saïd (1933-2016)

Sur la photographie familiale prise dans une rue d’Alger en 1947, Jean-Pierre Saïd, âgé de 14 ans, se tient quelque peu à l’écart, plongé dans la lecture d’un journal. Cette même année, il quitte définitivement l’école, exclu du lycée Bugeaud pour ses mauvais résultats. Il n’en sera pas moins embauché cinq ans plus tard comme journaliste à Alger Républicain, conséquence inattendue de la première des trois arrestations qu’il subira en une dizaine d’années.

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Élie Chaïa (1926-2016). Les années 1940 d’un jeune juif algérien

Élie Chaïa s’en est allé l’année de ses 90 ans. Rencontré en 2009, cet homme d’une grande gentillesse avait accepté de raviver ses souvenirs à l’aide de photographies qu’il avait précieusement conservées depuis son adolescence. Pris entre 1940 et 1947, ces clichés témoignent de l’une des trajectoires possibles pour de jeunes juifs d’Algérie pris dans le tourbillon de la Seconde Guerre mondiale. Une génération naviguant entre les discriminations étatiques, la solidarité communautaire et les révoltes politiques.

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Paris, 1952. Amokrane, Jean et l’internationale des étudiants anticolonialistes

Paris, décembre 1952. Le jour de son mariage, Jean Beckouche pose avec son témoin, Amokrane Ould Aoudia, dans sa chambre de la Maison des Lettres, rue Férou. Une maison qui accueille, sous l’œil bienveillant d’un concierge vétéran de la Résistance, nombre de jeunes hommes venus du Maghreb sous domination française poursuivre leurs études dans ce que l’écrivain algérien Kateb Yacine nomme « la gueule du loup » : Paris.

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